SAMA MOURAYE FALL – ARTISTE INDÉPENDANT ET SEREIN
Depuis quelques mois, Sama Mouraye Fall a été révélé au public par la diffusion sur YouTube d’une reprise du titre « Papa où t’es ? » en wolof, donc « Papa fo neh ? ». Un clin d’œil à son père, et un appel à la compréhension et à l’écoute entre les générations.
Né en 1983, à Dakar Pikine, d’un père comptable et d’une mère ménagère, il a grandi à Saint Louis, (village de Bango) en compagnie de ses trois frères et de sa sœur. Enfant, il se sentait déjà différent des autres, avoue avoir été indiscipliné, avoir fait des « erreurs de jeunesse ». Incompris par son père; il suivra tout de même sa vocation, la musique, obstinément, depuis.
Agendakar : Comment as-tu commencé la musique ?
SF : C’est mon grand frère, Big Soul, qui a amené la musique dans la famille. Il faisait du rap. Quand il était jeune, il ramenait à la maison des photos des grands rappeurs américains. Quand je le voyais sur scène, j’étais fasciné. Je ne pensais même pas à l’époque à devenir musicien. Et puis à un moment, mon grand frère Big Soul, est entré dans ses moments de grâce en tant qu’artiste. La plupart des gens ne l’ont pas compris, se sont dit qu’il avait « pété les plombs ». Mon frère Pape Bolle Sarr et moi étions les seuls à ses côtés dans ces moments là. On l’a soutenu dans la musique, parce que c’était ce qu’il aimait, ce qui le faisait vivre. On a intégré donc son monde, et on a évolué avec lui. C’est par cette porte là que je suis entré dans la musique. Je chantais sur scène avec lui, notre groupe c’était le Big Soul Can. Cela a commencé en 2002, par un concours sponsorisé par Nescafé, où il fallait des groupes de trois. Ce jour-là, dès que je suis monté sur scène, et je m’en rappellerai toujours, au Quai des Arts à St Louis, il y avait comme une voix qui me disait que c’était ça mon chemin. C’était vraiment très clair. J’ai suivi cette lumière là. On a ensuite sorti un morceau de Mame Cheikha Fall, qui a cartonné, à St-Louis. On commençait à bien évoluer avec le groupe. L’art m’avait accroché.
C’est la musique qui m’a canalisé, discipliné. C’est beaucoup de travail, de répétitions, cela demande de la rigueur. C’est grâce à cela aussi que je suis allé dans beaucoup de régions du Sénégal, pour jouer. Je me suis rendu compte que mon travail était dans ma tête, et que partout où j’allais je pouvais faire quelque chose avec cela.
AGD : Pourquoi es-tu passé à une carrière en solo ?
SF : D’abord Pape Bolle est parti en Italie. Après ce n’était plus pareil. Big Soul s’est marié, il vit maintenant en Europe, ou il travaille en plus de continuer la musique. Pape Bolle est revenu depuis, et continue à travailler lui aussi sa musique.
AGD : Est-ce que tu souhaiterais aussi vivre en Europe ?
SF : Je suis bien ici. Je ne cours pas après cela. Je ne cours d’ailleurs pas, je marche tranquillement !
AGD : Ton nom d’artiste, Sama Mouraye Fall, peut être compris de diverses manières…
SF : Cela vient d‘une femme belge, Myriam Léveillé, un jour où je suis allé à Gorée pour la première fois. Ensuite j’en ai parlé avec elle, et j’ai cité une phrase de Khadimou Rassuol qui disait « taisez vous quand vous êtes en colère ». Puis je lui ai dit que pour moi, que je sois en Afrique, en Amérique, ou en Europe, je sais que je suis sur le même sol, sous le même ciel, sur Terre. Donc je ne change pas. Elle m’a regardé dans les yeux et m’a dit « toi, tu es un Samouraï ».
Je m’appelle en fait Khadim Rassoul Sarr, et je me demandais depuis longtemps comment prendre un nom aussi fort, aussi évocateur spirituellement, pour le faire monter sur la scène. Ainsi est venue l’idée de me nommer Samouraï Fall.
Puis ce nom est devenu Sama Mouraye (ma couverture) grâce au directeur du centre culturel Blaise Senghor ,Baba Ndiaye, en référence au tissu qui couvre Cheikh Ahmadou Bamba.
Ma mère m’a beaucoup soutenu. C’est pourquoi j’ai pris son nom, Fall. Je veux qu’elle sache que c’est sa dédicace.
AGD : Comment définis-tu ton style musical ?
SF : Je ne cherche pas à faire un style en particulier, je fais du Sama Mouraye Fall ! Je suis libre de faire du rap, du reggae, je suis ouvert. Mon style est dans mes textes, ma façon d’être sur scène. Dans mes textes, j’encourage, je donne du dynamisme. Je dis « vivez, respirer », que ça soit simple. On n’a pas besoin de forcer, tout le monde peut atteindre ses buts, de manière naturelle. Mon objectif est vraiment de faire comprendre aux jeunes que tout le monde peut atteindre ses buts, et être ce qu’il veut être.
Je fais du « one man show ». Je veux présenter des spectacles complets, chanter, danser, parler, faire chanter le public ! Comme je ne veux pas faire travailler des gens sans les payer, je travaille seul tant que je n’ai pas les moyens. Je suis indépendant. C’est important .Mes musiciens sont dans ma boite à musique ! J’avance avec la technologie…
AGD : Pourquoi as-tu décidé de reprendre la chanson « Papa ou t’es ? » de Stromae ?
SF : La chanson m’a vraiment plu. Dès que je l’ai entendue la première fois, j’ai fait quelque chose que mon père n’aime pas .ll n’est pas d’accord. Il ne comprend pas. Il a peur que son enfant tourne mal ! Il faut que je sois fort pour relever le défi, pour lui dire que si on fait un choix, et que l’on est confiant, on peut s’en sortir. C’est comme une question-réponse à mon père. De manière générale, c’est une façon de renouer le dialogue avec les pères. On a un petit problème de communication entre les générations. Un problème de liberté, de choix. On dit à l’enfant, à l’adolescent, au jeune adulte : « Fais ce que je dis, ce que je pense », et on ne dit pas « fais ce que tu veux , fais ce que tu penses ». C’est vrai que ça peut aider à discipliner l’enfant, mais il faut aussi le laisser vivre des aventures. C’est comme ça qu’il comprendra la vie, par son expérience, plus efficacement que par des paroles. J’aimerais un jour fonder une école, où on demanderait aux jeunes ce qu’ils veulent faire dans la vie, et où on ferait au mieux pour les satisfaire. Au lieu de leur imposer un chemin !
Cette chanson m’a permis de mieux me faire connaître, au Sénégal et à l’extérieur, et m’a donné l’opportunité de faire des émissions TV, radio. Cela m’a vraiment ouvert des portes.
AGD : Est-ce qu’il y a un album à venir prochainement ?
SF : Je n’ai pas de pression, franchement. Je travaille dans la délicatesse et la patience, naturellement. Je ne me presse pas parce que j’ai eu ce succès là. Tout se trace dans le chemin. Un album, ça reste. Il faut prendre le temps de bien réfléchir à ce qu’on fait. L’artiste a besoin de travailler à l’intérieur de lui. Penser à pourquoi il fait cela. Prendre le temps de se retrouver dans la nature, de ne pas trop se laisser avaler par les artifices de la vie, pour mieux se libérer . C’est quelque chose qu’il faut d’ailleurs tous apprendre à faire, ce sont les clés de la vie qui vont t’aider à ne pas être stressé, à être calme. À rester indépendant dans la tête. Je travaille d’ailleurs actuellement à la mise en scène d’un spectacle sur l’écologie. Il faut que les gens comprennent bien le propos.
AGD : Comment vois-tu la condition des artistes au Sénégal ?
SF : Il faut se battre. Il faut vraiment croire en soi. Aimer vraiment ce que tu fais. Tu vas passer des épreuves, et l’art va te demander si tu l’aimes. Parfois tu vas passer des jours sans manger ! J’ai passé des nuits dehors à Dakar ! Des jours ou je n’ai pas mangé, ou je n’avais rien dans ma poche .Le jour où j’ai enregistré le son de « Papa où t’es » en wolof, je dormais sur la plage ! J’ai été pêcheur, j’ai vendu des crevettes… J’arrive maintenant à vivre de la musique, surtout grâce à un ami, Mohamed Sow Sène, qui me soutient en m’offrant le calme, la liberté. C’est mon mécène. Grâce à lui, je peux me concentrer sur ma musique, et je remercie le Ciel pour cela. À l’avenir, si j’ai des revenus grâce à la musique, pour garder mon indépendance et faire travailler des jeunes, j’aimerai bien avoir mon commerce de vente de poissons ! J’ai commencé de rien, je me suis battu pour avoir la voix, comprendre que mon corps est mon outil de travail avec lequel je peux gagner ma vie, avoir des cachets. C’est un chemin, il faut se faire comprendre, et pour cela il ne faut pas être pressé. Le temps que les gens te reconnaissent, sachent ce que tu fais. En art, il faut vraiment être patient.
Je dis à tout le monde d’y croire, et je remercie Serigne Touba, Khadim Rassoul. Je remercie mon père et ma mère dont je porte le nom, Fall. Toute ma famille et mes fans !